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DU CDÉW
L’art entrepreneurial – ; Rencontre avec Guillaume Lussier
C’est par une belle matinée d’automne que Guillaume Lussier, propriétaire de la Bijouterie Lussier, a discuté de son passé d’entrepreneur et de l’importance de la créativité dans son quotidien, autant pour son entreprise que dans sa vie personnelle. Derrière le comptoir de sa boutique, il sourit quand on lui parle du début des années 2000.
« Être mon propre patron, c’était mon objectif quand j’étais jeune, mais je ne savais pas exactement dans quoi. » dit-il, se remémorant son passé.
« J’étudiais en commerce au Collège régional Champlain à Lennoxville, mais je n’étais pas certain de ce que je voulais faire. Je suis parti travailler dans l’Ouest canadien, j’étais serveur dans un restaurant. Je finissais tôt certaines journées et il y avait un bijoutier près du restaurant, et je trouvais son travail fascinant…la minutie des projets, les propriétés des pierres, etc. J’ai commencé à y aller tous les jours, juste pour voir ce qu’il faisait. C’est là que j’ai su ce que je voulais faire. Je suis revenu de l’Ouest pour m’inscrire dans le cours de joaillerie-bijouterie qui se donnait à l’époque uniquement qu’à Montréal. »
Vivre dans la métropole lui a permis d’obtenir son diplôme et surtout de travailler dans une bijouterie du centre-ville, où il a pu acquérir ses premières expériences dans le domaine, et ce, sous le regard de curieux.
« La bijouterie était vitrée partout. Tout le processus de fabrication était visible de l’extérieur. Quand tu te trompais, tout le monde le savait! Ça m’a permis de peaufiner ma technique. C’était très formateur. » nous dit Guillaume en riant.
Retour à Windsor
L’idée de revenir dans sa ville natale n’avait jamais quitté le jeune homme, mais il y avait plusieurs points d’interrogation. Travailler dans une bijouterie du centre-ville de Montréal apporte son lot de clientèle. Mais est-ce que c’était possible de le faire à Windsor ?
« La rentabilité à long terme, c’était mon principal souci. Il y avait aussi le problème de main-d’œuvre. Évidemment, j’avais de l’ambition et je souhaitais faire grandir mon entreprise, mais même à cette époque-là, trouver de la main-d’œuvre était un défi. Mais bon, quand tu es jeune, tu as une certaine insouciance et un grand optimisme…alors je me suis lancé! »
Et Guillaume Lussier s’est lancé en fondant sa propre entreprise, Graduation Lussier. Il loue une partie du local où était située la Bijouterie Claude Lussier, son père. Le Centre local de développement (CLD, aujourd’hui Développement Val Saint-François) lui octroie un prêt pour débuter. Ceci lui permet d’avoir une assise solide pour commencer son entreprise, et il peut aussi utiliser une partie des installations présentes pour faire ses propres créations.
Graduation Lussier se fait connaître petit à petit, et surtout, de façon indépendante.
« C’était important pour moi de faire ma propre identité dans le milieu et en ville. Je ne voulais pas être reconnue comme étant uniquement le « fils de Claude ». Mon père et moi, on ne faisait pas exactement la même chose, on avait des objectifs différents et des pratiques différentes aussi. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour lui. Partir de zéro comme il a fait, je ne suis pas certain que j’aurais eu l’audace de le faire. Mais je voulais sortir de son ombre! »
Guillaume s’est donc impliqué dans plusieurs organismes. Il faut président de la Chambre de commerce de Windsor. Il était dans le conseil d’administration de la Caisse populaire. Il s’impliquait dans plusieurs organismes locaux, une bonne façon de se faire connaître certainement, mais également de redonner à la communauté qui l’a vu naître et grandir.
Graduation et ambition
Graduation Lussier faisait à ses débuts des bagues de graduation de A à Z, c’est-à-dire la conception jusqu’au produit final, pour les écoles secondaires du Val Saint-François. Les employés de la boutique allaient faire de la représentation sur le terrain. L’entreprise avait 5 écoles au départ. Comme la plupart d’entre elles le vivent, il y avait des embuches, que ce soit au niveau de la production, de la fourniture, des paiements, etc.
« Au début, des semaines de travail de 80 heures ou même plus, c’était ma norme. Je faisais tout le travail qui était possible de faire. C’est comme ça que j’ai pu, graduellement, engager de nouveaux employés. Sous-traiter certaines portions de la fabrication. Avec le temps, j’ai commencé à laisser de côté certaines portions de l’entreprise parce qu’elles n’étaient pas rentables. Mais j’ai travaillé fort et dure. La concurrence était féroce, même si elle n’était pas nombreuse! » ajoute l’entrepreneur.
Un livreur entre dans la boutique pour laisser un colis à l’attention de Guillaume. Celui-ci le remercie chaleureusement. Tout de suite après, un client entre et le propriétaire le salue.
« En 2012, on a été choisi pour faire la bague des fans des Canadiens de Montréal, en 1909 exemplaires. L’année d’avant, j’avais commencé à faire la bague des champions, un créneau vraiment intéressant. Tout a décollé à partir de là, nos efforts ont vraiment été récompensés. C’est là que j’ai pu commencer à mettre en place ma vision d’entreprise. La notoriété a grandi et le carnet de commandes était rempli. »
Fabriquer une bague pour une des plus grosses franchises sportives au monde, c’est une pression énorme. Mais Graduation Lussier a répondu avec brio au défi. Et ceci a permis à Guillaume d’acheter la boutique de son père.
« Ce n’était pas évident, ça m’a pris des années pour le convaincre! Mais en 2016, on a trouvé un terrain d’entente, et tout le monde est sorti de la table satisfait. Tout ça a mis en place le processus d’achat de la bijouterie à Sherbrooke. Une grosse avancée pour moi! »
Adapter sa créativité aux nouvelles réalités
Jusqu’en 2013, Graduation Lussier faisait les bagues de finissants pour les jeunes du secondaire. Depuis, ce marché est devenu moins intéressant du fait de la diminution de l’intérêt des jeunes pour ce genre de souvenirs. Le marché des « toges et mortiers » reste par contre très populaire.
« Le sentiment d’appartenance a changé. On a dû s’adapter à cette nouvelle réalité, au même titre qu’on a dû s’adapter aux médias sociaux. Rester là à ne rien faire, ce n’était pas une option pour moi. »
Les réseaux sociaux ont, comme on le sait, permis aux consommateurs d’avoir accès à une infinie variété de produits, souvent de piètre qualité. Bijouterie Lussier a toujours résisté à la vague de produits bon marché. Or, une tendance se dessinait avant la pandémie de COVID-19 chez le consommateur, où on voyait un retour vers des produits plus recherchés, durables et de qualité. Cette tendance s’est accélérée avec la pandémie, avec en plus une volonté d’acheter locale.
« L’achat local a toujours été une priorité pour moi, bien avant que ça soit à l’avant-scène. On offre un produit de qualité, écoresponsable et qui respecte l’art, c’est ce que le consommateur recherche. Je fais beaucoup d’efforts pour que les produits offerts dans ma boutique soient locaux. Tout le monde en sort gagnant au bout du compte. » affirme Guillaume Lussier.
Respecter l’art, c’est non seulement respecter l’œuvre, mais également de respecter le processus créatif. Les créations de Bijouterie Lussier sont personnalisées et personnalisables, justement pour laisser une certaine liberté aux clients et aux artisans de faire une pièce qui sera durable pendant des années. On puise son imagination selon le projet, tout comme le musicien ou le peintre va s’inspirer de son environnement pour créer.
« C’est là aussi qu’on voit la force d’un bijou de qualité. Un bijou fait en masse ne sera pas personnel. Nous, on offre quelque chose qui va ramener des souvenirs, qui a une signification particulière pour les personnes qui le porte. Oui, c’est plus cher que quelque chose de faire en masse, mais ce n’est pas hors de prix non plus. On veut que ce soit accessible pour tout le monde. »
Les arts jouent un rôle essentiel dans la vie de l’entrepreneur. Sa conjointe est une artiste qui fait de la poterie, notamment. Elle fait aussi de la joaillerie, c’est d’ailleurs grâce à ce domaine qu’ils se sont rencontrés. Plusieurs amis de Guillaume sont des artistes; l’art n’est jamais très loin de lui. D’ailleurs, c’est grâce à cette proximité qu’il a pu s’inspirer pour la promotion de collections de bijoux. La murale de la rue Doran-Duke-Doucet à Windsor est sur son chemin pour aller travailler, matin et soir.
« L’œuvre de Jessica Chabot est tout simplement incroyable. On s’est dit que tant qu’à aller prendre un shooting photo dans un studio avec un fond d’écran ajouté, aussi bien le faire à la murale directement. Tout s’est fait en une journée, on avait fait tout en avance en fonction des saisons sur la murale. L’œuvre a amené un sentiment d’appartenance aux gens de la ville de Windsor. C’est très valorisant de voir ça ici. » ajoute-t-il, visiblement fier et passionné par le sujet.
En terminant, Guillaume Lussier donne des conseils aux personnes qui souhaitent se lancer dans le domaine : être minutieux, très patient, et surtout conscient qu’il faut avoir plus d’une corde à son arc pour arriver à ses fins.
« Accepte tout le travail que tu peux faire » affirme-t-il.
« Pour avoir un revenu stable, tu dois faire tout ce que tu peux. Comme ça, tu acquiers de l’expérience, de la notoriété, et plus tu en fais, plus tu vas pouvoir devenir indépendant et faire tes propres œuvres éventuellement. De plus, un revenu stable, ça t’enlève un stress, et le stress, ça tue la créativité. Une autre idée, c’est de commencer comme employé dans une joaillerie déjà établie, et de demander à ton employeur du temps, non payé, où tu vas pouvoir apprendre et travailler par toi-même. Tu verras…c’est payant! »